L'histoire du château de Saint-Maurice Document sans nom


Le château de Saint-Maurice-de-Rémens

Le château de Saint-Maurice-de-Rémens a été construit au milieu du XVIIIe siècle par Claude Colabau de Rignieux (né en 1715, décédé après 1797), ancien capitaine au régiment de Bourbonnais. « La Révolution ne l’inquiéta point.

On ne toucha à son château que pour en abaisser les deux tours, au nom de l’égalité. » N’ayant pas de descendance, il l’a donné à son neveu Jean Marie Alexandre Colabau de Julienas (1742-1812), ancien lieutenant-colonel du régiment des gardes françaises, chevalier de Saint-Louis, qui est mort à Saint-Maurice, comme l’atteste son épitaphe conservée sous le clocher de l’église.

Adolphe de Tricaud est indiqué comme propriétaire du château de Saint-Maurice en 1829 . Léopold y habite déjà en 1862, mais il n’en obtient officiellement la propriété qu’en 1872, au décès de son père . C’est à cette époque qu’il a dû refaire les façades, aménager les attiques des ailes (étêtées à la Révolution), et construire la chapelle. Vers 1880, il fait rebâtir des écuries et une sellerie à l’ouest du château.

Gabrielle de Lestrange, veuve de Léopold de Tricaud, conserve le domaine après la mort de son mari, mais elle en fait don à sa petite nièce, Marie de Fonscolombe. Mais dépourvue elle-même de toute fortune personnelle et peu douée pour les affaires d’argent, elle vend, à bas prix, la ferme et les terres pour acquitter les droits de succession. Esseulée après le décès de deux de ses enfants et le départ des trois autres devenus adultes, dans l’impossibilité d’assurer les frais d’entretien du domaine qui nécessite de grosses réparations, elle décide en 1931 de le mettre en vente. Le château est acquis le 20 décembre 1932 par la Caisse des écoles de la ville de Lyon, pour en faire une colonie préventorium, ce dont se réjouit la comtesse de Saint-Exupéry. En 1953, avec l’OEuvre des pupilles de l’École publique, et après des travaux d’appropriation, la Caisse des écoles transforme le château en internat (l’internat Saint-Exupéry) pour accueillir, dès la rentrée de septembre, 300 jeunes pensionnaires.

Resté longtemps inoccupé, le château est vendu le 24 septembre 2009 par la ville de Lyon, à la commune de Saint-Maurice-de-Rémens.

Ce texte est extrait de Maryannick Lavigne-Louis,
Châtelains et vie de château autour de Lyon, 1840-1940,
Editions BGA Permezel, 2010.

La maison d’enfance d’Antoine de Saint-Exupéry
à Saint-Maurice-de-Rémens

Le château de Saint-Maurice-de-Rémens est la propriété familiale où Antoine de Saint-Exupéry a passé ses vacances d’été, avec ses frère et soeurs. Les cinq enfants formaient «tribu», jouaient en découvrant le parc, le château et ses environs, en apprivoisant les animaux. Ce royaume est comme un livre ouvert, un livre vivant, un livre de souvenirs, fondateur. L’auteur, par l’entremise des souvenirs y puise toute sa substance d’éternité nourricière. Il la retrouve lorsqu’elle fait sens avec notre sentiment d’appartenance au monde et à la civilisation, et elle montre que l’homme seul n’existe pas, qu’il est «de», qu’il est lié.

Saint-Exupéry en prendra conscience l’âge avançant, en particulier au retour de ses voyages lointains ou lorsqu’il est éclairé par une lumière crépusculaire et mélancolique, ou lorsqu’il devient nécessaire d’endosser le lourd manteau de «grande personne» et ses responsabilités.

Saint-Exupéry pense qu’une vérité peut se donner dans les liens invisibles que l’homme tisse avec son enfance. Cette vérité, à la fois «précaire» et «éblouissante», est une quête vers la maison d’enfance. Elle mène aux chemins où le lieu et le lien sont comme fontaines et eau de source, éternelle jouvence. Cette source enfantée par les souvenirs d’enfance se confond avec la source enchantée par la vérité des contes de fées.

Pourquoi les notions de «maison» et de «demeure» sont-elles si importantes dans l’oeuvre et dans la vie de Saint-Exupéry ? Voici quelques repères, partiels, quelques traces laissées dans le sable, qui souhaitent nous aider à éclairer ce mystère.

L’explorateur de terres sans limite

C’est en 1926 que Saint-Exupéry réalise pleinement sa vie d’homme, lorsqu’il rentre à la Compagnie Latécoère, qu’il découvre l’immensité des espaces, qu’il se renouvelle.
L’intensité de ses missions, la camaraderie avec les pilotes, les dangers du Sahara insoumis, le transforment radicalement. L’avion, qui n’est qu’un «outil», offre une perspective unique : il devient possible de reconsidérer la place de l’homme dans le monde et dans l’univers.

Au retour de tes premiers voyages, quel homme pensais-tu être devenu et pourquoi ce désir de le confronter avec le fantôme d’un gamin tendre ?
[...] je me souviens avec mélancolie de cette visite à notre enfance : une villa blanche entre les pins, une fenêtre s’allumait, puis une autre.
[...] Nous venions de très loin. Nos manteaux lourds capitonnaient le monde et nos âmes de voyageurs veillaient au centre de nous-mêmes. [...] Nous revenions solides, appuyés sur des muscles d’homme. Nous avions lutté, nous avions souffert, nous avions traversé des terres sans limites [...]
Courrier Sud

Les pionniers de La Ligne ont parcouru de nouveaux territoires et cette expérience fut pour Saint-Exupéry d’éprouver un double mouvement, extérieur et intérieur, une aventure de la conscience face au monde et le déploiement singulier d’une richesse intérieure. Voyager, c’est «changer de chair», sortir de soi-même. L’alternance des points de vue, l’apesanteur du corps dans l’espace et la confrontation aux éléments et aux êtres, créent de nouvelles perspectives, une vision inouïe qui participe autant à la vie universelle qu’aux mouvements les plus intimes.

L’harmonie maîtrisée du territoire familier

Perdu aux confins du monde, Saint-Exupéry ne songe qu’au retour dans les lieux connus, délimités et «apprivoisés», qui rassurent et protègent. C’est dans cette dynamique contradictoire, du lointain et du proche, que l’auteur ressent les grands mystères de la vie. Et ceux et celles qui connaissent les liens qui les unissent à chaque lieu et à chaque chose, à la terre et à la nature, à son outil et à son travail, à son foyer et à ses amis, possèdent le sens du merveilleux. Ils sont reliés et répandent la confiance. Ils nous livrent une vérité qui puise sa force dans la terre et dans les étoiles, comme l’arbre est racines profondes dans le sol, et fruits généreux et sucrés. Ces pommes dorées de l’arbre aux étoiles tombent sur une pelouse de contes de fées.

Car vous étiez fée. Je me souviens. Vous habitiez sous l’épaisseur des murs une vieille maison. [...]
Alors vous nous preniez les mains et vous nous disiez d’écouter parce que c’étaient les bruits de la terre et qu’ils rassuraient et qu’ils étaient bons. Vous étiez si bien abritée par cette maison et, autour d’elle, par cette robe vivante de la terre. Vous aviez conclu tant de pactes avec les tilleuls, avec les chênes, avec les troupeaux que nous vous nommions leur princesse. [...] Tu nous paraissais éternelle d’être si bien liée aux choses, si sûre des choses, de tes pensées, de ton avenir. Tu régnais...
Courrier Sud

Demeure familière, bien en ordre

Les lieux et les liens de l’enfance, plus intimes et familiers, plus diffus aussi, s’ancrent ainsi dans la «demeure». Ils sont les vecteurs essentiels qui lient entre eux l’espace et le temps. Saint-Exupéry associe à la terre et à l’enfance les lieux familiers, «fidèles», alors perçus comme des abris : la maison devient symbole de stabilité et d’immutabilité, elle a un «visage».